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Ma vision de la poésie

Dernière mise à jour : 28 nov. 2020

La poésie, le pays de la lenteur, où des mots associés entre eux de façon inhabituelle, ouvrent des clairières, cassent nos concepts, nos vérités toutes faites.

Pierre Reverdy expliquait que la poésie rapproche des mondes opposés, mais de manière « juste ».

La poésie, une sensation, une émotion. Pas du sentimentalisme, des bons sentiments. Et le haïku constitue la forme la plus épurée de l’émotion poétique.

La poésie, l’enfance qui croît sans cesse, le regard neuf, l’émerveillement continuel, qui sauve ce qui nous échappe chaque jour, l’eau toujours vive :


Crie cet enfant

Toujours en toi

(Eugène Guillevic in Maintenant)


La poésie guette les mots qui expriment une expérience incommunicable que seul le silence – le silence entre les mots – peut exprimer. Là réside son apparent paradoxe : battement d’ailes qui parle avec des mots silencieux.

La poésie, mots neufs, reliés aux anciens réenchantés par un souffle, traces des doigts qui écrivent sur le sable où naît, meurt et renaît sans cesse l'instant neuf.

La poésie, un rythme, que le vers suive une prosodie ou qu’il soit libre. Prévert a presque toujours écrit en vers libres, mais dans une liberté maîtrisée, où chaque poème est structuré, sans qu’il l’ait voulu, dans une sorte d’instinct qui sait. Qui suppose une connaissance acquis de la métrique.

La poésie, un chant, qui épouse le silence, une musique involontaire, note cristalline du merle dans les petits matins endormis, brise qui murmure dans le friselis des bouleaux, vol d’hirondelles virant sous le ventre des nuages.

On entre en poésie et parfois même les pierres sourient. Il aura suffi d'un battement d'ailes et la source jaillit vive.

La poésie, meilleure part de nous-mêmes, sauvegardée de l'usure des années, notre souffle, notre rythme propre elle guette la venue du chant égaré.

La poésie, gardienne des énigmes qui laisse en nous une parole qui nous émeut, trace d’une rencontre qui nous a bouleversés, qui résonnera toujours en nous.

La poésie, l’éclair vif dans la grisaille quotidienne, l’invisible dans le sensible.

La poésie, l'instant-éternité à pleines mains, qui brasille dans les blés, dans ses barques de lumière, vie et mort mêlées.

C’est la lumière mêlée à l’ombre, qui fait exister on ne sait comment quand on est au fond du désespoir.

C’est le murmure incessant qui célèbre à la fois le jour et la nuit, la vie et la mort, la joie et l’angoisse, les mains qui s’unissent dans la nuit et celles qui supplient l’aube de revernir.

Elle donne la parole à ce qui ne parle pas, à l'innommable, dans la frondaison du silence.

C’est la part de rêve et de liberté en nous, que nous avons enterrée sous les automatismes, les préjugés, le conformisme. Le rêve non comme fuite, mais comme moteur de la liberté individuelle et collective, comme la vie à l’intérieur de la vie où la poésie prend sa source.


Pour Gérard de Nerval, le rêve « est une seconde vie », et André Breton écrit :

"Pourquoi n’attendrais-je pas de l’indice du rêve plus que je n’attends d’un degré de conscience chaque fois plus élevé."

Pour Arthur Rimbaud, il est la force qui « donne à changer la vie. »

Poésie, rêve, réalité ont partie liée. On se souvient de Jacques Prévert :

"La poésie, c’est ce qu’on rêve, ce qu’on imagine, ce qu’on désire et ce qui arrive souvent. La poésie est partout comme Dieu n’est nulle part. La poésie, c’est un des plus vrais, un des plus utiles surnoms de la vie."


La poésie est cette enfance où l'on était toujours à dénicher la lune au fond de la forêt.

La poésie cultive nos jardins, creuse l’instant, ranime notre mémoire. Patrie retrouvée, saveur de vent frais. Voilà que la vie se donne à profusion, sans tambour ni trompette.

C’est la vieille cour, envahie d’herbes et de mousses, où la lumière s’attarde au crépuscule, le ciel grand ouvert qui bleuit dans la rivière, clarté de l’eau musicale, les mains comme une prairie de tendresse.

La poésie est le caillou qu'enfant nous tenions dans la main, émerveillés.

La poésie résiste, crève la pesanteur, refuse l’immobilisme, bouscule les faux impératifs, les mythologies du bonheur tout fait. Elle sauve le monde, elle donne la parole à ce qui ne parle pas. Poiêsis-poiein-création.

La poésie, pain de vie où jaillissent des mots-fleurs qui ne parlent pas. Cri du silence, énergie libératrice, libre du sens, terre ouverte. Ouvert du monde insaisissable.

C’est l’éternité à pleines mains dans le bourdonnement des tilleuls de l’été, instant qui brasille sur les blés, jasmin qui fleurit la nuit sous la lune, bruissement inaudible des étoiles.

La poésie, l'eau primitive, l'enfance qui ne cesse de croître en soi, l'éternel recommencement.

La poésie retrouve la mémoire profonde des arbres. Elle parle avec le langage des feuilles, ruisselle dans le rêve intact. C’est l’instant ébloui sur nos lèvres dans le taffetas du crépuscule.

La poésie est à l'écoute du murmure intérieur incessant, cette parole silencieuse et chantante qui emplit tout l'être.

C'est la beauté silencieuse du monde où ciel et terre se regardent, sans séparation.

La poésie ne démontre rien, elle est démunie. Elle partage et chacun la lit comme il veut. Elle brille sans orgueil, célèbre la beauté du monde malgré tout, lampe de l'infini, demeure invisible où séjourner.

Bien des poètes ont exprimé leur vision de la poésie, comme ceux-ci :


Andrée Chédid : « La poésie est naturelle. Elle est l’eau de notre seconde soif ».

Gaston Bachelard : « La poésie est une joie du souffle, l’évident bonheur de respirer. »

Jean Cocteau : « Je sais que la poésie est indispensable, mais je ne sais pas à quoi ».

Paul Éluard : « Les poèmes ont toujours de grandes marges blanches… Leur principale qualité est non pas d’évoquer, mais d’inspirer. On rêve sur un poème comme on rêve sur un être.»

Alfred de Musset : « La poésie est la sœur de l’amour. »

René de Obaldia : « Seule la poésie peut ouvrir sur l’indicible, donner à entendre ce que nous n’entendons pas. »

René Char : « On ne peut commencer un poème sans une parcelle d’erreur sur soi et sur le monde, sans une paille d’innocence aux premiers mots. »

Daniel Lander : « Entrer en poésie, c’est entrer en dissidence.»

Alain Bosquet : « Tout savoir est de prose, et tout mystère de poésie. »

Pour Pierre Dhainaut, elle est « ce rituel que nous tenions dans la main/ un caillou jusqu’à ce qu’il soit transparent. »


Jean Sulivan qui n’a pas écrit de poème, mais dont la pensée en est pleine, parole-poème de ses livres écrit :

"Tout poète a le don de l’enfance : sa vison naïve est d’abord une insulte à la réalité des habitudes mentales."


Et comment ne pas penser à Jacques Charpentreau, le Verlaine du XX° et du début du XXI° siècle, enchanté par le chant de la poésie qui chante dans tous ses vers :

Dans l’obscurité du poème

On ne sait qui chante et pourtant

On écoute le cœur battant

Car c’est le chant de l’amour même.

Quelle est cette voix qu’on entend ?

LES POÈTES SONT DES ÉLEVEURS D’ÉTOILES

Les étoiles brillent dans leur beauté ensorcelante et mystérieuse - comme toute beauté, mystérieuse, indéfinissable. Tant de vers qui brillent aussi, qui nous échappent :


Les sources de la nuit sont baignées de lumière (Robert Desnos).

Un chant mystérieux tombe des astres d'or (Arthur Rimbaud).

Malgré nous le rêve a bonne mémoire

Ces mots de nuit de vent d'absence et de mort ( Claude Roy).

L'espoir luit au loin comme un brin de paille dans l'étable (Paul Verlaine).

Au Paradis, où sont les étoiles en plein jour (Francis Jammes).


Comme cela est obscur ! Et pourtant quelle étrange vérité ineffable susurre. C'est que la poésie est une parole nue, sans défense, nue et impossible à déshabiller. Avec des mots obscurs, elle fait naître la lumière. Ainsi certains vers apparemment difficiles laissent diffuser une sorte de clarté, presque une évidence, comme une sensation limpide, où l'obscur reste obscur, le mystère intact.

Il est des vers inexplicables où c'est la force des images elles-mêmes qui agit, la vie qui impose ses images et son rythme. La poésie parle en nous, sans nous, nous introduit au plus intime de nous-mêmes, cet infini du dedans inépuisable. L'explication, si jamais il y en a une, est hors de nous, elle est le brasillement de l'éternité en mouvement, éclats d'étoiles.



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